Last updated: 10 Dec, 2018

Biographie de Roger Anger


(24.3.1923 - 15.1.2008)

Roger Anger a grandi avec le rêve de devenir chirurgien et non architecte. Né à Paris le 24 mars 1923, il était le cadet des trois fils de l'avocat Henri Anger. Du fait de la deuxième guerre mondiale, il entra en apprentissage à l'atelier de Capello, un artiste d'Antibes, au lieu de poursuivre des études. Impressionné par les dessins et les peintures de Roger Anger, Capello lui suggéra de s'inscrire en architecture, discipline pour laquelle il montrait une aptitude innée.

Les années de formation

Au cours de ses années préparatoires, Roger Anger passa deux ans à Nice dans l'atelier de l'architecte de renom Paul Jacques Grillo, installé par la suite aux États-Unis et auteur de l'ouvrage "Form, Design and Architecture", devenu un classique. Après avoir réussi l'examen d'entrée, il s'inscrivit à l'École des Beaux-Arts de Paris où il obtint son diplôme en 1947.

À cette époque, la structure de l'enseignement en architecture à l'École Nationale Supérieure des Beaux-Arts permettait générale­ment aux étudiants d'être en contact quotidien avec les autres arts enseignés à l'école comme la peinture, la sculpture et la gravure. Les étudiants pouvaient entrer dans l'atelier de leur choix sous la supervision d'un directeur d'atelier parfois aidé de plusieurs assistants. Ils avaient le choix entre trois catégories d'ateliers : les ate­liers intra-muros, ou ateliers internes dirigés par des directeurs rémunérés, les ateliers extra-muros, qui se situaient hors des écoles, dans des agences d'architectes où les directeurs n'étaient pas rétribués, et les ateliers de province situés dans d'autres villes pour que les étudiants puissent étudier dans leurs lieux d'origine et passer leurs examens à Paris avec les autres étudiants.

Roger Anger étudia sous la direction de Le Marisquier, un directeur d'atelier extra-muros. En participant au travail des agences d'architectes, les étudiants étaient exposés au processus intégral de l'architecture tout en recevant une éducation spécialisée au milieu de professionnels. Les étudiants de tous niveaux préparaient leurs projets et leurs examens et effectuaient même des travaux de recherche sous les conseils de leurs directeurs. Leur présence à l'école n'était requise que pour les conférences et les examens. Pour obtenir un diplôme, les étudiants présentaient un projet détaillé entièrement conçu par leurs soins à un jury composé du personnel de l'école, d'architectes externes et de techniciens.

Le début d'une agence

Peu après avoir obtenu son diplôme, Roger Anger réunit des designers, des artistes et des architectes, principalement des amis, pour commencer à travailler sur des projets d'architecture intérieure pour des commerces. Il enregistra son agence en 1953. Les premières activités de l'atelier étaient modestes et spécialisées, la plupart des commandes étant pour la décoration et le design industriel. C'est en 1957, après le grand succès de la salle d'exposition qu'il réalisa pour les Manufactures de verre Boussois sur le boulevard Haussmann à Paris, que l'agence d'architecture prit une soudaine expansion. Ce projet spectacu­laire représenta un tournant dans sa carrière. Pour le projet < Boussois >, indépendamment de l'excellence accomplie dans l'ensemble de la conception et des détails, la matériali é du verre fut explorée et appliquée de façon extrêmement innovante et magistralement illustrée par une cage d'escalier entièrement en verre qui faisait la démonstration du potentiel structurel du matériau. On ne peut imaginer plus approprié pour la salle d'ex­position d'un fabricant de verre. La salle d'exposition de Vittel et la boutique au numéro 100 des Champs Élysées sont d'autres exemples de projets d'aménagement intérieur et décoration remarquables. À partir de là , l'agence de Roger Anger commença à attirer les promoteurs privés qui fournirent la plupart de ses commandes. Dans le contexte du renouveau urbain de Paris à cette époque, ces projets étaient le plus souvent des logements à grande échelle, en périphérie. Edmond de Rothschild, Ben Jakobert et Sassons, directeurs de la promotion immobilière de Cogifrance, furent parmi ses clients les plus importants.

Une agence prolifique
La profusion d'immeubles construits par le bureau de Roger Anger, dans ce court laps de temps (1958-70) figure une série cohérente de productions, toutes dirigées vers un même et unique axe de recherche. L'agence déposa des demandes de permis de construire pour plus d'une centaine d'im­meubles uniquement dans Paris entre 1956 et 1980, dont beau­coup furent réalisés.

C'est sans aucun doute le regroupement de beaucoup de talents au sein de l'agence qui permit une telle prolifération de projets à Paris. Le bureau était organisé pour des équipes de cinq personnes consacrées à un seul projet sous la direction de Roger Anger, « le véritable patron » , et de Pierre Puccinelli (1957-64), son collaborateur principal le plus créatif qui supervi­sait les études mené es par les différents chefs de projets dont Mario Heymann ( à partir de 1962), Michel Loyer (1959-65) et Lilianne Véder (1959-64). Le bureau engagea des designers et des étudiants des Beaux-Arts comme éléments à part entière des équipes de conception. Un promoteur financier, Javitt, et un déco­rateur, Thual, complétaient l' équipe de conception. En 1965, l'atelier regroupait soixante associés/assistants et architectes ; à son apogée ce nombre alla jusqu' à cent. L'agence était con­nue pour intégrer des travaux d'artistes et Charles Gianferrari, qui fut associé à de nombreux projets, continua de travailler en collab­oration étroite avec Roger Anger dans une amitié et une admira­tion mutuelle croissante jusque dans les dernières années  où il se consacra uniquement au projet d'Auroville. En 1960, Mario Heymann se joignit à l'agence, quelques années après Pierre Puccinelli. Il devint chef de projets en 1962 et associé de l'agence en 1965 quand Roger Anger commença à se consacrer de plus en plus, puis totalement au projet d'Auroville.

La recherche approfondie sur la conception des bâtiments se fai­sait avec des dessins en perspective, des maquettes d'études à différentes échelles ainsi que des maquettes de détails pour étudi­er certaines parties des projets en particulier. L'agence se trou­vait au début avenue Franklin Roosevelt, puis rue Ordener et finalement au 8, rue Brémontier jusqu'à sa vente en 1983, lorsque Roger Anger se retira de l'agence et que Mario Heymann continua avec Hughes Jirou, un neveu de Charles Cianferrari.

En 1961, Roger Anger fut invité à participer à un concours très prestigieux avec trois autres participants dont Le Corbusier. Ce fut l'un des événements les plus mémorables de sa carrière. L'archi­tecte se souvient : « Le Corbusier a été ma source d'inspiration. Il était un génie dans l'utilisation des formes. Il ne regardait pas vers le passé, seul le futur l'intéressait, il était résolu et audacieux dans ses conceptions. On aurait pu l'appeler le père de la nouvelle architecture, tout comme Picasso fut le père de la peinture mod­erne. Ce fut pour lui un grand moment que d'être en com­pétition avec quelqu'un qu'il admirait tant. Pourtant, ce concours ne connut jamais d'issue. Après le dépôt des projets, il ne fut mal­heureusement désigné aucun vainqueur par suite du changement de gouvernement et de l'abandon complet du projet.

Roger Anger fut membre du comité de rédaction du magazine L'Architecture d'Aujourd'hui, du milieu des années soixante jusqu'au début des années soixante-dix, avec entre autres collabo­ rateurs Georges Candilis (1913-1995), Jean Renaudie (1925-1981) et Claude Parent (né en 1923).

Faits marquants 

Roger Anger se rendit régulièrement en Inde à partir de 1956 avec sa femme, Françoise Morisset, qui s'intéres­sait de plus en plus à l'ashram de Sri Aurobindo à Pondichéry. Elle était la petite fille de Mirra Alfassa, connue plus tard sous le nom de < La Mère >, qui s'était installée à Pondichéry en 1920 et avait la charge de cet ashram. Le premier projet que Roger Anger conçut pour elle fut un complexe sportif pour l'ashram. Il ignorait alors que, plusieurs années plus tard, elle lui offrirait un projet, Auroville, qui allait changer complètement sa vie.

En 1965, il accepta d'être l'architecte en chef d'Auroville. Alors qu'il commençait à faire des aller-retours entre Paris et Pondichéry pour présenter les différentes étapes d'avancement de son travail sur Auroville, son atelier parisien se consacrait à la construction des trois tours de l'île Verte, à Grenoble. Auroville avait pris une telle place dans l'agence de Roger Anger que deux de ses princi­ paux collaborateurs, Puccinelli et Heymann, furent directement impliqués dans la création des concepts alternatifs pour le plan de la ville. C'est en 1967 que le projet pour l'Ile Verte reçut le Premier Prix International d'Architecture de Bruxelles. Il fut reconnu comme le plus remarquable résultat d'un travail d'équipe entre Roger Anger, Pierre Puccinelli et Mario Heymann et comme le point culminant de leur recherche. En 1968, le concept du plan d'Auroville fut approuvé et l'inauguration de ce projet eut lieu le 28 février de la même année sur le sol désertique et érodé du dis­trict de Villanur, dans le Tamil Nadu. Des jeunes de 125 nations par­ticipèrent à ce grand événement soutenu par l'UNESCO. Roger Anger a reçu d'autres prix : le Prix de Beauté de Paris, en ile de France, une médaille d'argent au Prix de l'Académie des Architec­tures et une autre médaille d'argent au Prix de la Ville de Paris.

L'agence en Inde
En 1967, Roger Anger créa un bureau à Pondichéry. En 1973, ce bureau déménagea à Auroville, dans l'an­cienne cuisine collective d'Aspiration, la première communauté planifiée en tant qu'implantation provisoire. Plus tard, il fut trans­féré dans le bâtiment originellement conçu pour une unité de production de polyester. Une nouvelle unité appelée Auroservice d'Auroville fut créée avec Pashi Kapur comme directeur-fonda­teur, à la période où le travail à d'autres projets de villes nouvelles en Inde était entrepris pour soutenir financièrement la planifica­tion d'Auroville. Roger Anger, comme beaucoup de visionnaires, dut faire face à de nombreux obstacles au cours de la réalisation de ce projet. Après la disparition de < La Mère > en 1973, le projet d'Auroville entra dans une période de turbulences durant laquelle le développement de la ville s'immobilisa. Roger Anger se retira pour plusieurs années en 1978.

Le Château du Crestet
Au moment où il se retira d'Auroville, il prit aussi du recul par rapport à sa vie à Paris et décida en 1980 de restaurer un ancien château en ruine dans le Sud de la France, surplombant un charmant village appelé Le Crestet.

Il avait déjà reconstruit un château pour lui-même à Théméri- court, mais en comparaison Le Crestet était une véritable ruine. Il s'engagea dans un travail de reconstruction qui allait durer des années. Il continua à se rendre en Inde mais garda ses distances par rapport à Auroville tout en suivant l'évolution de son développement. Il voyagea, surtout dans d'autres régions de l'Inde, pour satisfaire son intérêt pour les arts traditionnels et les antiquités indiennes. En 1981, Jacqueline Lacoste, qui l'avait fidèlement assisté depuis 1970 dans ses différents bureaux de Pondichéry et d'Auroville, le rejoignit au Crestet où elle continua à l'aider dans le travail de reconstruction du château, puis plus tard dans son travail pour Auroville.

En 1984, Roger Anger retourna à Auroville après une interruption de six ans, percevant que le climat s'était amélioré et que ses travaux pourraient reprendre. Bien que son travail fût officielle­ment reconnu, Roger Anger eut à faire face à de nombreuses dif­ficultés dues au manque de ressources humaines, d'argent et de soutien professionnel, ainsi qu'à l'indisponibilité des terrains et au manque d'infrastructures. Son rôle et son autorité furent également remis en question par quelques habitants d'Auroville, et il fut dans l'impossibilité d'accélérer l'urbanisation dont on lui avait donné la responsabilité.

Plutôt que de produire des plans détaillés pour la ville et de reprendre son rôle d'architecte en chef, il se consacra principale­ ment à créer des conditions favorables à la croissance de la ville. Son objectif était d'établir un système de gouvernance capable de promouvoir le développement d'Auroville.

Roger Anger continua à partager sa vie entre Le Crestet et Auroville où il se rendait deux fois par an. Il consacra tout son temps à travailler au développement et à l'urbanisation futurs d'Auroville. Dans son ermitage, son château sur la colline, il pro­duisit des plans et des maquettes dans une atmosphère de con­centration et de réclusion avec la seule aide de sa compagne, Jacqueline Lacoste. À Auroville, il rencontrait les gens, faisait le point sur le travail des consultants, allait sur le terrain et continu­ait à suivre attentivement les travaux de finition du Matrimandir. Il passait de nombreux après-midi à peindre et à sculpter dans les ateliers de ses deux maisons où il poursuivait ses recherches abstraites et se consacrait à l'expression créative. Ses proches avaient l'impression que ses mains exploraient avec joie et sans relâche des formes nouvelles et des matériaux inédits. Il était con­ stamment occupé, jamais stressé, menait une vie équilibrée et dis­ciplinée et manquait rarement sa partie d'échecs quotidienne en fin d'après-midi : « C'est un jeu où rien n'arrive par hasard, vous créez tout ».

Roger Anger, noble et courageux, plein d'humour et dénué de cynisme, continua sans relâche à « pousser le futur en avant », comme il avait coutume de le dire. Il disparut le 15 janvier 2008, en France, à l'âge de 84 ans.


(écrit par Kireet Joshi)

English version: https://www.auroville.org/contents/573


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